Bloc 3 | Étude de cas | Nouveau-Brunswick Le Goulet

Comté : Gloucester
Statut municipal : Village
Population : 817 (150 hab/km2)
Superficie : 5,46 km2
Langue : officiellement francophone étant donné que moins de 20 % de la population parle l'anglais.
1. Contexte
Le Goulet est une petite communauté acadienne située sur les rives du Golfe du Saint-Laurent dans la plaine de Shippagan, sur la péninsule acadienne. Le territoire de Le Goulet est constitué de plage, de marais côtiers, de tourbières, et du lac du Goulet.
La mer joue un rôle important dans l’économie de Le Goulet. La pêche est la principale source de revenus et le village revendique le statut de « Paradis de la pêche côtière ». La plage naturelle de cinq kilomètres de longueur, qui abrite en été centre d'interprétation de la faune et la flore marine, est un attrait touristique. Malgré les efforts de la municipalité, l’impact du tourisme demeure limité.
Le Goulet est une communauté relativement isolée et petite avec une population en baisse attribuable au déclin de l’activité de la pêche, ressource qui a chuté dramatiquement depuis 1992, plaçant cette communauté dans une vulnérabilité accrue.
Au Goulet, l’érosion est une source d’inquiétude importante pour les résidents mais surtout pour les utilisateurs du havre de pêche. Pour pallier cet inconvénient, un mur de protection, construit en 1995, a été consolidé au début des années 2000 pour protéger l’infrastructure portuaire contre l’érosion. Une tornade en 1982, et des tempêtes majeures en 1995 et 2000 ont causé des dommages importants. Lors de la tempête de janvier 2000, 12 maisons ont dû être évacuées en raison de l’inondation, et d’autres maisons ont encore été inondées lors des tempêtes de 2010 malgré les efforts de la population pour contenir les flots. La plage et la dune de sable en face de la communauté servent de zone tampon mais n’offrent qu’une protection relative contre les inondations. Un problème spécifique au Goulet résultant de la localisation de l’aquifère est l’intrusion d’eau salée dans les puits.
2. Projet de recherche
Au milieu des années 2000, les élus locaux et la population ont été impliqués dans des réunions d’information sur le changement climatique en général. À la suite de cette implication, les élus locaux ont demandé aux chercheurs que des travaux spécifiques soient entamés sur la question des changements climatiques. Ainsi, un projet de recherche dans une approche de recherche-action participative a été mené entre 2005 et 2009 à Le Goulet (des projets similaires ont eu lieu à Pointe-du-Chêne et Bayshore (Pointe Carron)). L’objectif de l’étude était de coordonner la démarche des citoyens, des élus et des agences dans la prise de décision entourant l’adoption de pratiques durables en matière d’adaptation face aux problèmes d’érosion et d’inondations dans le contexte des changements climatiques.
La démarche utilisée par les chercheurs s’est faite en trois temps :
- Cueillette des données concernant les représentations sociales des résidents de la zone côtière au sujet du changement climatique, des impacts et de l’adaptation à l’aide d’entrevues semi-dirigées;
- Éducation et sensibilisation des acteurs par l’entremise de séances d’informations et de discussion dans les communautés pour co-construire l’objet de la recherche et enfin;
- La phase engagement des communautés par l’entremise de la coordination de groupes de discussions qui a conduit à la rédaction collective d’un plan d’action pour l’adaptation.
Les enquêtes et séances d’information ont permis d’identifier les manques de connaissance vis-à-vis des changements climatiques et de leurs conséquences pour les zones côtières. Le projet a ainsi permis de mettre à jour les connaissances des élus et des citoyens participant au projet. La majorité des participants ont déclaré que ce processus les a habilités à mieux comprendre les phénomènes des changements climatiques et de la hausse du niveau marin ainsi qu’à augmenter leur sensibilité à une adaptation proactive.
Dans la perspective des résidents, la prochaine étape serait de travailler sur une sensibilisation plus large des citoyens, ce pour quoi une assistance serait nécessaire en ce sens. À Le Goulet les participants jugent que dans le but de mobiliser la communauté, il y a un besoin de sensibilisation au moyen de « focus groups » avec les citoyens. Ils ont demandé que la démarche en soit une de co-construction : c'est-à-dire de négociation des termes de référence avec la collectivité locale.
D’autres études ont été menées par l’IRZC. Le Goulet fait aussi partie des trois collectivités ayant fait l’objet d’un relevé LIDAR et impliquées dans le programme fédéral Initiatives de collaboration pour l’adaptation régionale (ICAR), les deux autres étant Bas-Caraquet et Shippagan. Ces études ont permis de modéliser et de cartographier les risques d’inondation.
3. Plan d’adaptation
Initialement, Le Goulet envisageait la construction d’un mur de 5 km pour les protéger de l’érosion et avaient mandaté déjà en 2002, une firme de consultants pour estimer les coûts, qui auraient été de plus de trois millions de dollars. Après la tenue de groupes de discussion les participants ont modifié leur point de vue pour une approche prudente, proposant de déménager les 30 maisons du lieu du littoral à haut risque vers des terres plus hautes. En effet, le mur proposé n’offre qu’une protection relative contre les inondations et ne peut pas enrayer la contamination et l’intrusion de l’eau salée. La construction d’aqueducs et d’un égout sanitaire municipal auraient coûté plus de 14 millions de dollars à la municipalité. L’infiltration de l’eau des marais aux extrémités du village a été le principal argument pour le changement de cap d’une approche basée sur la protection vers une approche basée sur le retrait. Ce changement de scénario n’est cependant pas encore accepté par l’ensemble de la communauté. Un travail d’information et de délibérations publiques reste donc encore à accomplir afin de décider d’une démarche d’adaptation faisant consensus au sein de la communauté. La majorité des citoyens sont cependant en faveur d’un zonage de la Commission d’Aménagement de la Péninsule Acadienne (CAPA) empêchant la construction de maisons dans la zone à risque. Lors des consultations, la première priorité d’investissement en adaptation était ainsi de faire un relevé LIDAR en vue d’établir des cartes de risque d’inondation, ce qui a pu être effectué depuis.
Vidéos
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Madeleine Roussell
C'est que nous, vraiment, ça arrivait avant, mais vraiment, qu'est-ce qui a sonné le glas dans tout ça ? C'est l'an 2000. L'an 2000, lorsqu'on a eu la « parfaite tempête », qu'on appelle, avec de gros amas de glace qui se sont ramassés partout, qui ont fait beaucoup de dégâts, c'est là que ça a commencé. Les gens ont commencé à se réveiller, les gens ont commencé à... Dans les puits, dans l'eau. Oui, ça, nous autres, on parle toujours d'inondation. Toujours, l'érosion vient après. Parce que pour commencer, nous autres, c'est l'inondation. L'inondation, il y a des gens qui ont été obligés de sortir de leur maison parce qu'il n'y avait pas de sécurité. C'est très dangereux pour leur santé. Ils ont été obligés d'aller vivre ailleurs pour un grand bout de temps, parce que ça a fait pas mal de dégâts. L'eau était à trois ou quatre mètres, si je me réfère bien à ce qu'on a vu dans l'an 2000. C'est que les autres régions, ils parlent d'érosion. Tandis que nous, ici, notre problème numéro un, c'est l'inondation. Parce que nous autres maintenant, je vais vous dire, quand ils annoncent, on est tout le temps à l'écoute de la température, parce que si jamais ils annoncent du vent, de la pluie, avec de la neige, des grosses surtout avec les marées, on est toujours sur le pied d'alerte. Toujours.
Orateur 2
Donc, c'était un stress pour vous.
Madeleine Roussell
Je comprends. Pas juste pour moi, pour le village entier, pour la collectivité. Mais surtout, maintenant, on a un foyer pour personnes âgées, niveau 1. Mais c'est là que ces personnes-là, ils sont quand même beaucoup. Il faut penser maintenant à refaire notre plan d'urgence qui était à jour, si vous voulez, mais vu qu'il y a d'autres personnes, il faut ajouter ça là-dedans. Puis comment on va sortir ces gens-là de là pour l'amener dans les terres hautes ? Parce que dans les hautes terres, c'est ça qui va être la sécurité des gens. Tout à fait.
Orateur 2
Prévoyez-vous qu'il y ait des gens qui devraient avoir déménagé aussi ? Ça va aussi loin que ça.
Madeleine Roussell
Les gens ne veulent pas déménager. Non, ça, les gens, ils ne veulent pas déménager. Qu'est-ce que ça leur coûterait comme argent ? Ça, ça n'a pas de bon sens. Admettons, un exemple que je vous donne, moi, je prends ma maison et puis je la déménage. Ça va me coûter les yeux de la tête. C'est qu'au gouvernement, quand ils disent « Je vous comprends », ce n'est pas vrai qu'ils nous comprennent. Parce qu'ils n'ont jamais vécu ce que nous autres, on a vécu. C'est ça. On attend, mais on n'attendra pas comme deux ans, ni un an, parce qu'on ne peut pas se permettre. On n'est pas capable, sinon, à un moment donné, on va tout perdre. Puis, il suffit d'une coupe d'heures pour tout perdre. Oui, tout à fait. Ça ne va pas être deux jours, un mois. On a marché, on a vu de nos deux yeux que c'est toutes des maisons qui vont être... Même l'édifice municipal.
Orateur 2
Qui va être impacté.
Madeleine Roussell
L'église, tout ce monde-là, tout y passe ce côté-là, tout le long.
Orateur 2
À l'époque, on avait identifié des maisons qui étaient à risque ou vulnérables, on avait identifié 28.
Madeleine Roussell
Oui, c'est plus que ça aujourd'hui.
Orateur 2
Plus que ça aujourd'hui.
Conseillère municipale à Le Goulet au moment de l’étude.
Benjamin Kocyla (4 minutes)
Verbatim
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Vidéo 1
Benjamin Kocyla
Nos actions ici, c'est de parler aux municipalités, celles qui ont le pouvoir de faire un règlement, pour justement que, elles puissent s'adapter. Pour parler aux municipalités, il faut avoir des données. On en a parlé ce matin, c'est très dur d'avoir des données, il faut les produire. Deuxièmement, il faut les faire comprendre pour que les personnels municipaux et les élus se les approprient, les comprennent pour après pouvoir les utiliser. Donc, il y a un accompagnement communautaire que nous, on a fait dans notre projet ici, mais en bout de ligne, ce sont les élus qui décident. Pas de décision, pas de règlement, pas d'adaptation. Les élus sont les représentants de la population, donc c'est à eux de prendre des décisions. Nous, notre rôle en tant qu'urbanistes ou techniciens ou scientifiques, c'est d'aider ces élus à prendre des décisions. Mais on ne peut pas aller plus loin. Moi, je ne suis pas un représentant, je ne suis pas une personne élue qui a un pouvoir. J'ai juste le pouvoir de les aider, mais je n'ai pas le pouvoir de prendre des décisions. Donc l'adaptation s'arrête vraiment à ce barrage de prise de décision là qui peut après être très loin des considérations scientifiques et uniquement des considérations économiques locales très ponctuelles. Ça, c'est comme l'envers du décor. Donc, il y a un gros travail à faire au niveau de l'approche des élus pour leur vendre les changements climatiques.
Vidéo 2
Benjamin Kocyla
Quand on fait un arrêté municipal, il a normalement, de par la loi, donc un règlement de zonage ou un plan municipal a une durée de vie de cinq ans, cinq ans minimale. Dans la pratique, le temps qu'on renouvelle ce plan-là, on est entre sept à dix ans d'utilisation. Les politiciens, en général, et ça, c'est mon opinion personnelle, planifient à l'échelle d'un mandat électoral, quatre ans. Ils planifient juste en fonction de ce qu'ils sont capables de faire eux-mêmes, au lieu d'aller voir un petit peu plus à long terme. Ce qui se fait dans des municipalités qui ont déjà réfléchi un petit peu plus à une vision d'avenir ou une vision de développement, on va parler de prospective, on va parler de dix, quinze, vingt, vingt-cinq ans. Ça, ce sont des nouvelles tendances qui arrivent. On va penser à un développement à vingt-cinq ans, puis on va le faire par étape, par étape de cinq ans, mais toujours dans la même grande ligne directrice. C'est à peu près ça. Après, pour les changements climatiques, on planifie à beaucoup plus loin. On essaie de se préparer au pire pour toujours rester au-dessus de l'eau. Oui, c'est à peu près ça. Puis après, on va au gré aussi des nouvelles prévisions des scientifiques, du GIEC et ainsi de suite.
Vidéo 3
Benjamin Kocyla
On ne va pas aller à l'encontre des volontés, on travaillerait pour rien. Donc, à la base, c'est une municipalité qui est volontaire pour rentrer dans le programme. Et puis ça, c'est après, c'est du travail de longue haleine, d'éducation, de sensibilisation, de transfert de connaissances. Nous, ce qu'on a fait dans le projet ICAR, pour la Péninsule acadienne, c'est qu'on a constitué des groupes de travail à qui l'on pouvait faire ce transfert de connaissances, là, pour que ces groupes de travail là fassent des recommandations au conseil municipal. On ne pouvait pas prendre des conseils municipaux et leur imposer des réunions assez conséquentes de deux à trois heures pour transmission d'informations. Ils sont trop occupés. Ce qu'on voulait faire, c'est passer par la communauté pour avoir une certaine légitimité et pour aider les conseils municipaux à prendre des décisions, parce que les conseillers représentent la communauté. Si l'on prend un groupe qui est déjà représentatif de la communauté, on va aider les élus à pouvoir prendre des décisions vu que leur communauté s'est déjà prononcée là-dessus sur quelque chose qui faisait de l'allure pour elle. Donc, ils ne se retrouvent plus tout seuls à prendre une décision pour faire un règlement. C'est comme si l'on avait déjà fait des réunions publiques avant de soumettre des solutions d'adaptation au conseil municipal. Donc, c'est l'approche que nous, on a utilisée ici pour éviter que tout ce que les scientifiques ont produit reste dans les armoires et que ce ne soit pas utilisé. Nous, notre objectif, c'est que ce soit utilisé, c'est que la péninsule s'adapte à long terme au niveau dans leurs outils de planification.
Commission d’Aménagement de la Péninsule Acadienne (CAPA)
Verbatim
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Orateur 2
On dit souvent en économie que l'économie, c'est la gestion des ressources rares. Comment tu vois le phénomène des zones côtières dans ce contexte, là, en tant qu'économiste ?
Charlotte Da Cunha
Quand on pense aux ressources rares, je pense qu'on est surtout sur la propriété foncière. On est vraiment sur des combats de terrains, sur tous ces terrains qui sont en front de mer, sur la valeur de ces terrains-là. Par exemple, là, on le voit en Péninsule acadienne, surtout sur l'île de la Mecque et Miscou avec des pertes de terrain. On est vraiment sur la valeur du terrain. Et puis, derrière, on a quand même des choses qui sont apparues sur la valeur de la plage et le partage de la plage avec tous les processus d'emmurement ou d'enrochement qui font qu'on n'a plus d'accès à la plage et devient quasiment inexistant.
Économiste à l’Université de Rimouski au moment de l’étude. Aujourd’hui professeure en aménagement du territoire à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
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Ministère de l’Environnement du Nouveau-Brunswick
Références
Chouinard, O., S. Plante, G. Martin, 2009. Gestion intégrée des zones côtières et engagement citoyen à l’heure des changements climatiques. Université de Moncton.
Depret, M.-H. Pierre Le Masne, C. Merlin Brogniart, 2009. Développement durable et responsabilité sociale des acteurs. L'Harmattan, Paris, 236 p.